Nulle part ailleurs, les femmes ne portent sur les hommes qui passent le regard que portent les Russes. Aucun pays n’a su, peut-être, autant que la Russie de la Perestroïka, briser les miroirs qui lui renvoyaient une image complaisante et fausse pour se regarder, enfin, dans la limpidité nue et sauvage de ses propres larmes. Larmes tranchantes de la douleur et larmes d’une joie provocante.
La Russie est une conquérante. Les femmes russes aussi. Russie et russes sont rivales. Elles s’affrontent dans un déchainement d’éléments. Cela s’appelle, parfois, la jalousie, parfois la Révolution, et toujours la passion. Luc Choquer a été conquis. Entre 1988 et 1991, il s’est trouvé au centre de la tourmente : la terrible mue d’un pays (re)trouvant sa chair en grattant ses écailles, tandis que les jeunes femmes découvrent qu’elles ont la peau douce.
Comme un poète, le photographe, mi-voyou mi-voyeur, appartient au monde des visionnaires. Il faut y savoir manier le surin. « Nous écrivons du couteau », s’exclamait Velimir Khlebnikov, au milieu d’une autre tourmente, dans les années vingt. Luc Choquer a joué de la lame, incisé les entrailles d’un quotidien pathétique d’où, soudain, jaillit un bouillon de tendresse – Bernard Frédérik.